Caroline PAVIE, dirigeante de IGS – CP : Une histoire familiale au cœur de l’innovation

La société IGS a été fondée par deux associés,  Monsieur Château et Monsieur Vignaud, en 1960, à Angoulême (16).
A l’origine, la société fabriquait des clichés magnésium pour les imprimeurs d’étiquettes.

En 1980, Les fondateurs créent un atelier de photogravure et de composition traditionnelle dites « au plomb ». L’entreprise est rachetée par Monsieur Girault en 1982. Il développe l’activité tout en intégrant l’évolution du métier avec l’arrivée de la PAO en 1990.

 

 

 

Caroline, vous dirigez la société IGS-CP, racontez-nous son histoire.

Catherine Pavie, expert comptable de formation, avait pour client la société IGS – CP ex Charente Photogravure. Monsieur Girault lui a demandé de le rejoindre en 1990 en tant que DAF. Elle a une certaine vision du développement de la société, et surtout elle adore ce métier. Je l’ai souvent accompagnée le soir ou des week-end pour boucler des dossiers.

En 2001, alors que la société traverse des difficultés financières, elle décide de racheter l’entreprise et la développe en s’appuyant sur les nouveaux services du secteur digital. Le plantage d’un serveur informatique en 2003 met en grande difficulté l’équilibre économique et le projet de la société, ma maman choisit de déposer le bilan et de remonter le projet sur de nouvelles bases et avec d’autres perspectives de développement. Il lui faudra cinq années de développement commercial sans trêve pour relever l’entreprise !
En 2008, elle décide de mettre en place un service pour les « livres numériques enrichis ». A l’aide de cette singularité significative sur le marché de l’édition, IGS est identifiée comme une entreprise innovante, qui se différencie sur le marché de l’édition. La société remporte plusieurs prix. Elle reçoit en 2012 le label « France du numérique ».

Ce marché reste aujourd’hui très marginal, il ne permet pas d’équilibrer les investissements très importants que nous avons dédiés à cette innovation.

Aujourd’hui, nous produisons des livres pour liseuses (ePub) mais pas de livres enrichis. C’est-à-dire que nous ne développons plus plusieurs dimensions telles que le son, les animations… sur un ouvrage. Nous constatons que le marché français n’est toujours pas en capacité d’accueillir ces nouveaux usages.

En 2018, nous avons investi dans une presse numérique de la marque RICOH pour impression en petites séries. Début 2019, nous avons obtenu la certification digigraphie.

J’ai rejoint la société familiale en 2016, en CDI.

 

Comment traversez-vous la période de la pandémie de la Covid 19 ?

Nous avons mis en place un planning de gestion intégrant du chômage partiel et du télétravail, nous avons choisi de rester ouvert durant toutes les périodes de confinement. Une dizaine de personnes de la région travaillaient sur le site.

En termes d’activité, nous avons tourné au ralenti. Cependant nous avons répondu à toutes les demandes de nos clients et des prospects. Au bilan de cette traversée, nous avons perdu entre 20 et 30% de chiffre d’affaires sur cette période.

Depuis, nous n’avons jamais retrouvé le chiffre d’affaires de 2019.

Nous constatons que les éditeurs proposent beaucoup moins de nouveautés. La production d’ouvrages a chuté d’environ 20%. Après cette période, nous avons décidé de réduire la voilure et avons dû, hélas, nous séparer de certains compagnons de l’entreprise. Nous avons recruté depuis en raison des départs à la retraite. Aujourd’hui, nous représentons un effectif de trente deux personnes, dont deux apprentis.

 

Caroline, vous êtes directrice générale de la société IGS-CP, pourriez-vous nous parler du métier de la Sté ?

Je suis directrice générale de la société « IGS-CP », l’autre société « Label Gravure », est pilotée par mon frère, Ludovic Pavie. Les deux sociétés sont situées en Charente, sur deux sites séparés, en raison des équipements et des traitements spécifiques nécessaires à la production des plaques de clichés magnésium.

IGS-CP est l’entreprise spécialisée dans le métier du prépresse. C’est-à-dire que nos équipes interviennent dans le traitement des fichiers numériques entre l’éditeur et l’imprimeur. Concrètement, nous sommes l’entreprise de « l’ombre ».

En France, IGS-CP est un acteur majeur sur le marché du traitement de texte et de l’image pour l’édition. Basée à Angoulême, capitale de la bande dessinée, nous bénéficions d’un environnement spécifique, artistique et producteur de supports d’édition. Nous accompagnons et répondons aux besoins des éditeurs de livres pour mettre en forme les ouvrages texte et les ouvrages illustrés afin qu’ils soient imprimés dans les meilleures conditions possibles.

Nous proposons une large gamme de prestations et de conseils : mise en page, relecture, chromie, épreuvage, création de livre numérique.

Plusieurs étapes définissent cette mission :

  • nous préparons et certifions les fichiers et les documents avant leur départ en impression,
  • nous réalisons l’exemplaire 0 de l’ouvrage,
  • enfin, nous remettons le fichier PDF permettant l’impression de l’ouvrage.

Notre objectif est que l’ouvrage soit de grande qualité quant au rendu des images et de la mise en page, même si nous ne sommes pas le maillon final de la chaîne de production.

 

En quelle année rejoignez-vous l’entreprise familiale ? 

J’ai rejoint la société reprise par ma maman en 2016, j’occupais la fonction de “chargé de développement commercial » au sein de l’entreprise. Ma maman a pris sa retraite en 2021 en tant que DAF mais elle reste la présidente, nous n’avons pas encore défini d’année pour la reprise de l’activité par les deux dirigeants (mon frère et moi).Nous avons pris la direction de chaque société en y occupant respectivement un poste à responsabilité pour au moins une durée de cinq ans. Nos conseils nous ont avisé qu’en qualité de descendants du dirigeant actuel, il serait judicieux de mettre en application du pacte DUTREIL. C’est un dispositif visant à faciliter la transmission d’une entreprise familiale. Cette démarche limite les frais de transmissions tout en nous formant à la mission opérationnelle de direction de l’entreprise, durant au moins cinq ans.

 

Quel est le « déclencheur » de votre décision de rejoindre l’entreprise familiale ?

Depuis mon enfance, je connais la société IGS. J’accompagnais déjà ma mère à l’entreprise certains week-end. A l’âge de seize ans, j’ai eu mon premier boulot là-bas : la découpe d’épreuves ! J’avais l’opportunité de l’accompagner à des événements professionnels, notamment « La nuit du livre ». Cela m’émerveillait déjà. J’ai eu l’occasion de l’accompagner en rendez-vous chez des clients. J’ai toujours baigné dans l’univers du livre. Aussi, je suis très attachée à l’entreprise et aux personnes qui y travaillent. Nous partageons une passion et nous faisons un beau métier. J’ai très envie que cela continue, de faire perdurer cette activité et le résultat des ouvrages édités sur de beaux papiers, avec de belles finitions malgré toutes les difficultés que nous pouvons rencontrer.

Ces difficultés sont liées à plusieurs points :

  • la valorisation de notre travail par le prix : nous sommes trop souvent négociés. Les clients demandent toujours de serrer les prix, surtout en terme de mise en page. Il est devenu très difficile de valoriser la qualité graphique de cette étape, ainsi que la relecture des ouvrages par un relecteur professionnel (ortho typo).
  • les attentes de nos clients qui exigent que nous soyons toujours à la pointe des nouvelles technologies, surtout en termes de services et de gestion de flux des projets ; des services très coûteux en investissements pour notre petite structure et difficile à valoriser dans les prix de revient,
  • et enfin, l’IA, qui commence à prendre une place importante dans le processus de notre travail. Les salariés de l’entreprise restent particulièrement en veille à ce sujet et s’adaptent.

L’IA ne menace pas vraiment le traitement des images, dont le résultat reste intimement lié à la sensibilité du retoucheur/ L’IA fait gagner du temps sur certaines opérations, comme par exemple les retouches flou / net.

Dans tous les cas, nous cherchons à valoriser la singularité et la main de l’homme. Chaque retoucheur a une « patte ».

 

Quelle formation avez-vous suivie ?

Avant de passer le diplôme du Baccalauréat, j’ai choisi d’étudier durant une année en Australie, en qualité d’ « exchange student », avec le Rotary. J’avais besoin de partir pour découvrir une nouvelle culture et aussi d’acquérir de l’indépendance tout en apprenant l’anglais. A mon retour, j’ai passé un Baccalauréat ES (Sciences Economiques). J’ai poursuivi ma formation à la Faculté de Nice au département Langues Etrangères Appliquées à l’Économie… ce cursus n’était pas fait pour moi. J’ai choisi de suivre “l’année spéciale” en technique de commercialisation à l’IUT de la Rochelle. Puis, j’ai obtenu un Bachelor Business en Marketing Relationnel en alternance au sein de la Société IGS-CP. Une courte expérience au sein de l’entreprise MEOSIS basée à Bordeaux,  (Société de création de sites Internet), m’a offert de travailler en prospection intensive sur la région Aquitaine et de découvrir combien je m’épanouissais chez IGS ! J’ai intégré IGS en tant que chargée de développement commercial en CDI. En 2018, j’ai suivi la formation chef d’entreprise développeur de PME proposée par la CCI Angoulême. Cette formation m’a fait prendre conscience qu’il y avait un réel besoin d’attention au niveau des ressources humaines chez IGS. C’est pourquoi en 2019 j’ai intégré le CESI pour suivre la formation « Responsable des Ressources Humaines » en alternance à IGS. J’ai occupé la fonction RRH sur une période de cinq années avant de prendre la Direction Générale de l’entreprise, tout en poursuivant la mission au sein des RH février 2024, fonction qui me tient à cœur. Depuis que je suis DG, je suis beaucoup plus en développement et en relation avec la clientèle, je me déplace chaque semaine à Paris pour le suivi et le développement des projets.

 

Aujourd’hui, vous développez l’entreprise avec votre maman, comment répartissez-vous les rôles ?

Ma maman, Catherine Pavie, a pris sa retraite en 2021. Elle reste la présidente de la société IGS. Notre relation est sous le signe de la complicité : elle me laisse prendre les décisions et gérer l’entreprise avec l’équipe de direction. Cependant, dès que j’ai un problème, dès que j’ai besoin de conseils, je me tourne vers elle. Elle est toujours là pour moi. Au sein d’IGS, l’équipe de direction se réunit une journée, chaque mois, nous prenons les décisions stratégiques ensemble. Actuellement, nous collaborons pour développer la société et gérer certaines situations avec les clients. Je produis régulièrement des comptes rendus à ma maman qui apporte son soutien indéfectible au projet de l’entreprise.

 

Quels sont vos apports respectifs dans le projet de la société ?

Ma maman nous apporte une vision globale, celle d’une entrepreneuse qui a de l’expérience et beaucoup de passion pour ce métier. Je suis sur le terrain, je partage avec les équipes et je veille à répondre aux attentes des clients, voire à anticiper leurs attentes ! Ma maman me laisse « carte blanche », par exemple, sur la gestion du nouveau projet “l’atelier des tirages” et me fait confiance pour l’achat des équipements de la création de cet espace dédié aux particuliers.

 

Que ressentez-vous en qualité de directrice de la Sté, au regard du marché français de l’impression ?

Notre marché est celui de l’édition. Concrètement, ce marché et celui de l’impression sont très tendus. Aujourd’hui, chaque acteur de la chaîne graphique recherche à faire des économies. De nouvelles technologies arrivent, notamment l’intelligence artificielle qui nous pousse à repenser nos méthodes de travail. Nous devons unir nos forces pour bâtir un nouveau modèle, ensemble.

 

Vous choisissez de vous positionner sur le prépresse ?

Le prépresse est le métier historique de l’entreprise IGS. Nous proposons des services aux éditeurs ; grâce à notre savoir-faire, nous allons étendre nos prestations aux artistes et aux particuliers. Nous pouvons répondre aux attentes des entreprises hors du secteur de l’édition, aux attentes des artistes et conseiller les particuliers.

 

Pourriez-vous définir le métier du prépresse ? 

Le prépresse représente un ensemble de savoir-faire.

Trois pôles principaux se distinguent :

Le pôle image

– les chromistes sont des experts de la couleur. Ces compétences ne sont plus enseignées dans les écoles et les formations. C’est pourquoi nous avons recruté deux apprentis cette année, pour transmettre et encadrer leur apprentissage selon les règles de l’art.

– le scannériste est en charge de numériser et de retoucher tous les originaux.

Nous traitons également les couvertures : deux opératrices sont uniquement en charge des couvertures des ouvrages.

Le pôle texte

– les opérateurs PAO et 3B2 maîtrisent les logiciels de mise en page et la typographie.

– la personne du service relecture vérifie les maquettes et assure la correction « ortho-typo ».

Le pôle informatique 

– Nous avons un développeur pour réaliser des développements internes et externes.

– Un développeur XML pour la réalisation des ouvrages accessibles et des manuels scolaires numériques

– Un technicien de fabrication en charge de la réalisation des ePubs

Le pôle impression

– Nous faisons des impressions de tirages d’art en 10 couleurs sur du papier fine art, numéroté et signé par l’auteur.

– Impression en petite série de livret avec deux piqûres à cheval et d’outils de communication.

Pour ces quatre pôles, nous avons des fabricantes (trafic) qui sont en lien avec les clients et qui gèrent les dossiers en interne. En résumé, la société IGS réalise tout ou partie des opérations de prépresse d’éléments graphiques : mise en page de texte/image, relecture, photogravure,… en fonction des commandes et des impératifs de quantités, délais, qualité.

 

Quelle est la valeur ajoutée de cette mission auprès des métiers de l’impression ?

Les imprimeurs récupèrent nos fichiers pour imprimer les ouvrages. Ils n’ont plus à se soucier du fichier PDF !

 

Comment argumentez-vous cette valeur auprès des clients BTOB ?

IGS est une entreprise reconnue dans le monde de l’édition et bénéficie d’un excellent « bouche à oreilles ».

 

Beaucoup d’imprimeurs proposent ou intègrent cette mission au sein de leurs prestations de services internes, comment vous différenciez-vous de cette offre ? 

Les imprimeurs ne font pas la mise en pages des ouvrages. Le service prépresse vérifie la qualité des fichiers et intervient aussi sur les retouches de la dernière minute !

Nous sommes spécialisés dans la mise en page et dans la retouche des images. Ces tâches prennent du temps et demandent beaucoup de concentration.

 

Quel est l’intérêt pour des éditeurs et pour des imprimeurs de faire appel à vous ?

Les éditeurs font appel à nous pour disposer de fichiers de qualité pour imprimer des ouvrages. Nous vérifions précisément la qualité des couleurs, la mise en page. On récupère les fichiers, on analyse, on trie, on fait le suivi très précisément avec des professionnels qui ont plus de trente ans d’expertise dans ce domaine.

 

Quelles cibles choisissez-vous de privilégier dans le cadre de ce développement et pourquoi ?

Nous poursuivons notre collaboration avec les éditeurs et toutes les sociétés qui produisent des livres. Nous développons aussi cette mission en dehors des entreprises du secteur, auprès des artistes et auprès du grand public avec « l’atelier des tirages ».

 

Quels sont vos retours sur investissements depuis cette stratégie de positionnement ?

Nous avons développé de nouveaux services :

  • Les Courts Tirages

C’est une maison d’édition de tirages d’art spécialisés dans la bande dessinée. IGS produit les tirages, les courts tirages s’occupent de faire signer et numéroter les tirages par les auteurs. Ces tirages sont ensuite revendus sur le site internet ou via des salons.

  • L’atelier des Tirages

L’atelier des tirages propose  de la numérisation aux artistes hors du secteur de la bande dessinée. Aux particuliers, nous proposons des retouches de photographies anciennes analogiques et numériques, ainsi que des tirages d’art.

 

Quel impact financier représente l’intégration d’un poste prépresse à un devis global de fabrication ?

Le coût dépend des dossiers ! Il faut compter 50 euros en moyenne pour une réimpression.

Par exemple, si nous partons d’un livre d’art ou d’une plaquette commerciale de 200 pages comprenant 140 visuels en couleurs. On peut estimer cette mission entre 2 500 et 3 000 euros selon les allers et les retours, ainsi que selon la qualité du suivi avec le client.

 

Comment recrutez-vous vos salariés ?

Nous publions des offres d’emploi, nous diffusons via les écoles et les sites spécialisés du secteur. Dès le premier rendez-vous, j’explique le poste. Au second rendez-vous, nous proposons une journée de tests pour vérifier que le profil correspond bien à nos attentes et réciproquement. Les écoles ne forment plus vraiment à ce métier, après vérification que la personne détient bien les bases, nous la formons en interne.

 

Quelles formations leur proposez-vous ? 

Souvent je propose des formations de mise à niveau des compétences sur les logiciels INDD et Photoshop. Je les finance via l’OPCO. Je privilégie beaucoup les formations en interne, surtout pour les nouveaux arrivants qui sont encadrés par les anciens.

Les salariés proposent des formations que je valide si nous en avons vraiment besoin.

C’est ce utile ou pas… Je n’impose pas de formations ! Il faut que cela vienne du salarié et de son envie d’évoluer dans son métier et au sein de l’entreprise.

 

Vous développez aussi la publication digitale, pourquoi ? 

On n’a pas le choix ! Depuis le fichier de mise en page PDF, on produit le ePub, nous répondons aux attentes du client. On s’adapte aux demandes du client.

 

Quel marché représente cette spécialité dans votre portefeuille d’activités ?

C’est marginal, c’est lié intimement lié à la création de l’ouvrage au format PDF. Un service global pour les clients.

 

Quel serait votre mantra pour l’année 2025 ?

Rendre accessible la valeur ajoutée de notre métier aux artistes et au grand public sensible à la production d’images de qualité.

Propos recueillis par Rachel Hardouin en octobre 2024